Nous sommes fiers de notre défaite.
mai
2019
- prix: 3,10 €
format : 90 x 140 mm
48 pages
ISBN: 979-10-304-1090-7 Existe aux formats ePub et PDF
Extrait de “L'Autodafé de l'esprit”
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L'Autodafé de l'esprit
Joseph Roth
“Le monde menacé et terrorisé doit se rendre compte que l’intrusion du caporal Hitler dans la civilisation européenne ne signifie pas simplement le début d’un nouveau chapitre dans le domaine de l’antisémitisme : non ! Ce que disent les incendiaires est vrai, mais dans un autre sens ; ce Troisième Reich est le commencement de la destruction! En battant les Juifs, on poursuit le Christ. Pour une fois, on n’assomme pas les Juifs parce qu’ils ont crucifié Jésus, mais parce qu’ils l’ont engendré. Quand on brûle les livres des auteurs juifs ou soupçonnés tels, on met le feu, en réalité, au Livre des livres : à la Bible. Quand on expulse et qu’on enferme des juges et des avocats juifs, on s’attaque, en esprit, au droit et à la justice.”
Aux prises avec le génocide littéraire visant les écrivains juifs ou jugés “décadents” sous le Troisième Reich, Joseph Roth dénonce la destruction spirituelle qui agite son époque. Nous sommes fin 1933. Roth, lui-même exilé, écrit à chaud. Et, au nom de tous les écrivains juifs de langue allemande, il reconnaît : “Oui, nous sommes battus.” Mais il ajoute plus loin : “Nous sommes fiers de notre défaite.”
Peu de temps après l’arrivée au pouvoir du parti national-socialiste en 1933, la chancelier Adolf Hitler lance une “action contre l’esprit non allemand”. Le 10 mai 1933, devant l’opéra de Berlin et dans 21 autres villes allemandes, est mise en scène une cérémonie mortuaire : des dizaines de milliers de livres sont publiquement jetés au bûcher par des étudiants, des enseignants et des membres du parti nazi.
Face aux dérives nationalistes du savoir institutionnel, Roth se fait le défenseur des “écrivains véritables”, dont les œuvres sont détruites sur ordre de dirigeants qu’il juge analphabètes. Cette opération d’anéantissement de la pensée s’appuie selon Roth sur une idéologie matérialiste et militaire qui remonterait à Bismarck et dont l’Allemagne hitlérienne figurerait le paroxysme. Ces écrivains, bien avant Hitler, se sentaient déjà des émigrés et des sans-patrie “dans le royaume de la technique, des caporaux, des parades et du garde-à-vous”. Sous le Troisième Reich, ce sentiment devient effectif.
Or, les autodafés menés par les idéologues nazis annihilent par glissement l’origine même de la culture judéo-chrétienne. En brûlant un seul livre, ce sont les livres dans leur ensemble qu’ils détruisent. Et surtout ils portent atteinte au « livre des livres », à savoir la Bible. En brûlant ces livres sur leurs bûchers, c’est leur propre culture que les Allemands ont vouée aux gémonies. Là où l’Église catholique a passé un “concordat” avec le Reich et où les protestants ont créé une “église allemande” en brûlant la Bible, les écrivains juifs restent les seuls défenseurs de l’Europe spirituelle.
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